séance 6 - [AREP] Dystopie architecturale et hypermobilité ? (26.11.18)





1) La Grande Conversation

Arep et ses spécificités
Arep est une agence d'architecture et un bureau d'études qui s'attache à la conception des lieux de la mobilité et notamment des gares. Elle est ainsi prestataire de la SNCF depuis 20 pour la conception de ses gares. Elle réunit :
  • 977 collaborateurs
  • 7 métiers : l'architecture, le design, l'urbanisme, l'ingénierie, le flux, la programmation et la conduite des opérations
800 projets et études ont été réalisés dans le monde par AREP, qui a 7 implantations à l'égranger : Casablanca, Dubaï, DOha, Hanoi, Pékin, Shanghaï et Lausanne.




Concours : réflexion sur la ville de 2050 
Arep a lancé courant 2017 un concours interne autour d'une réflexion sur la ville en 2050, proposant différents axes dont :
  • répondre à l'urgence
  • concevoir avec de nouvelles technologies 
  • les nouveaux rapports à l'espace et au temps 
7 équipes ont été sélectionnés, dont celui de Best Before Yesterday, qui a voulu faire un pas de côté en ne donnant pas une réponse toute faite mais plutôt en créant une occasion de générer un questionnement. A ainsi été proposé un collage dystopique.

2) Best Before Yesterday


  •  intérêt de la dystopie
Le collage proposé veut souligner certaines dérives et exacerber certains défauts jusqu'à un point de non retour, et ce pour initier un débat sur des écueil à éviter. Le projet dresse ainsi un tableau volontairement très sombre qui aborde plusieurs thèmes dont l'instantanéité, l'hypermobilité, les fractures sociales, les nouvelles technologies et l'écologie. 
  • description du projet
Le projet s'appuie sur une base fictionnelle en deux temps.
En 2050, les nouvelles technologies permettent aux classes les plus riches d'accéder aux mobilités, d'avoir des capacités de construction et de mouvement sans précédent. Se met en place une société d'élite qui se déplace d'événement en événement, selon les tendances du moment, menant une vie faste pendant un temps court tout en dégradant le lieu. 
Après le passage des élites hypermobiles et au comportement phagocytaire, advient une deuxième temporalité, celle des classes plus défavorisées. Elles développent une économie parallèle dans la récupération des déchets des élites.
  • le collage comme outil 
Ce projet dystopique se veut en opposition ou du moins en retrait par rapport aux autres projets présentés pour le concours, en questionnant d'une manière singulière les nouveaux rapports au temps et à l'espace ? Qu'est-ce que la ville en 2050 ? La réponse de Best Before Yesterday est une réponse choc, appyuyée sur un collage qui installe une construction en miroir, opposant la société faste à gauche et la réutilisation des lieux à droite. 
Le collage permet de donner une image archétypale et de rester dans une abstraction, pour questionner à la fois le fond et la forme : d'une part l'image permet à chacun de se questionner et d'autre part la mise en page permet de développer comme un fil rouge dystopique.

3) Dystopie et architecture

Boullée / Ledoux / Lequeu : Utopie des Lumières

Le XVIIIe siècle est animé par un courant littéraire et philosophique qui vise la promotion de la connaissance. Les Lumières amènent alors l'architecture à être plus sensibles au bien-être des usagers et à proposer des projets utopiques. Dans ce cadre, trois grands acteurs, architectes urbanistes français du courant néo-classique jouent un rôle déterminant.

exemple de Cénotaphe – Lieu dédié à la mémoire d’un mort mais caractérisé par l’absence de corps. 
  • Etienne-Louis Boullée a peu construit, mais est connu pour son approche théorique dessinée (on pourra parler d'architecte de papier). Il s'inscrit dans un courant de pensée d'architecture sensialiste, au sens où l'architecture se doit d'agir sur les sentiments et la conscience morale des citoyens : elle est une création artistique au service du bien public. L'architecte en vient alors à jouer le rôle d'artisan dela nature et la perfection architecturale tient lieu de réponse à une perfection sociale, morale et politique. Boullée est connu pour ces cénotaphes aux formes épurées, sans ornementation et aux échelles démesurées.
Lequeu, Élévation géométrale du temple de la Terre (1794)
  •  Jean-Jacques Lequeu s'inscrit dans la continuité de Boullée. Outre quelques réalisations, son oeuvre architecturale consiste globalement dans des dessins de bâtiments imaginaires, agrémentés de symboles et de textes narratifs. Ces projets imaginaires sont réunis dans un recueil de planches, sous le nom d'Architecture Civile.
C.N Ledoux  : La cité idéale de Chaux (1775)
  • Claude-Nicolas Ledoux souhaite faciliter la vie des ouvriers, en proposant un projet global qui conçoit une ville auto-suffisante. Par la Saline Royale, sont prévues la rénovation des usines, la construction de logements, la mise en place d'un cimetière et l'élévation d'un temple. Ce projet est perçu comme une proposition progressiste et Ledoux se fait alors le représentant d'une architecture humaniste et hygiéniste qui facilite l'accès à la nature.

Howard : les cités hardins / le phalanstère, une utopie en réaction à la ville industrielle

Dans la continuité de Ledoux, Howard propose un projet concret de la ville rationnelle et hygiéniste et développe la notion de cité-jardin qui entend s'opposer au développement incontrôlé des villes. Cependant "cité-jardin" devient un terme générique qui ne qualifie plus vraiment l'idée initiale de Howard, à savoir celle de créeer des cités auto-suffisantes à l'écart des villes. La cité-jardin, selon l'urbaniste britannique, s'appuie sur plusieurs principes :
  • la maîtrise publique du foncier
  • une ceinture agricole autour de la ville, une faible sensité du bâti
  • des équipements publics au centre des différentes polarités
  • le développement en réseau
Il s'agit par là d'une solution qui relève de la régularion de l'espace, sur la base d'une analyse scientifique, de l'idée utopiste d'un espace physique qui serait la clef d'un espace social et politique où la société pourrait se développer correctement.


Ebenezer Howard et le concept de Cité-Jardin, 1898, in To-morrow : A Peaceful Path to Real Reform

Le Corbusier : le Plan Voisin, la ville-machine

En 1925 a lieu l'Exposition Internationale des Arts Décoratifs où sont présentés dix projets d'urbanisme pour l'agglomération parisienne. A une époque qui voit l'avénmeent de l'aéronotique et de l'automobile, Le Corbusier propose le Plan Voisin, projet qui prévoit de raser le Marais (environ 240 hectares), pour mettre en place différentes artères de circulation facilitant les déplacements en voiture. Ainsi, il voulait déscléroser un quartier perçu comme insalubre. Il s'agit d'un projet vraiment radical contre le Paris historique, au sens où il propose de laisser place à un espace bétonné, sans distinction entre les différentes fonctions urbaines et sans souci des paysages. Le Plan Voisin promeut ainsi une ville administrative et homogénéisée, avec l'idée que c'est par une rationalisation à outrance qu'on va arriver au bonheur. On est donc passé d'un espace sentuel à un espace de la raison.

Le Corbusier, Le Plan Voisin

Le Corbusier, Le Plan Voisin

Archigram / Superstudio : la ville hypermobile

  • Archigram est au départ une revue architecturale de l'avant-garde londonidenne qui réunit six architectes (Peter Cook, David Greene, Mike Webb, Ron Herron, Warren Chalk et Dennis Crompton) et se transforme ensuite en collectif. Le groupe produit beaucoup de collages (plus que des constructions) inspirés par la bande desssinée et par la science fiction et réutilisant des revues publicitaires. Ancré dans la popculture, émergente à l'époque, le collectif est marqué par plusieurs grands thèmes comme l'apparition de la mégastructure, l'idée que l'indétermination peut prendre une part dans la conception architecturale et l'hypermobilité. Ainsi, par ses collages conçus comme des réflexions sur de véritables apports positifs, Archigram conçoit la ville comme un ensemble d'unités fonctionnelles interconnectées, modulaires, mobiles.
Archigram, Plug-in City, 1964 :
on a une ville organisme et l'apparition de la mégastructure.
Ici, en opposition au Corbusier, on distingue des modes
de mobilité et le piéton s'élève du sol.

Archigram, Walking-city, 1965 : la mobilité est accentuée et la ville devient elle-même nomade.

Archigram, Instant-city, 1968 :
la ville se déplace en balon dirigeable pour se plugguer sur l'existant.
Elle se libère ainsi de toute géolocalisation fixe.

  • Superstudio est un groupement d'architecture contestataire et critique, fondé en 1966 à Florence par Adolfo Natalini et Cristiano Toraldo di Francia. Par leurs collages et leurs fictions, ils ont un impact fondateur dans le design radical, en opposant le mouvement expérimental au design fonctionnel conformiste des années cinquante. Ils font le constat d'un échec de la ville et donc de l'architecture à être vecteur de société stable et heureuse, ce qui transparaît dans leurs dessins marqués par le motif du monument continuel, lissant toute spécificité.
Superstudio, Grand Hotel Colosseo 1969, © MAXXI.

Superstudio, The Continuous Monument, 1969.
D'Archigram à Superstudio, on passe à la dystopie et à la critique de l'architecture : on questionne ainsi les istitutions, la pratique et la vision des architectes sur eux-mêmes. Les collages servent ainsi à faire bouger les lignes en interne.


Koolhaas / OMA : "Fuck the context" et dystopie urbaine

Rem Koolhaas, architecte et urbaniste néerlandais, et son agence Oma réunissant des partenaires issys de différents champs, sont influents notamment deuis les années soixante-dix. Koolhaas se donne au fil de sa carrière tant à des réflexions théoriques qu'à des productions. Il manifeste un intérêt particulier pour la ville du XXe siècle et notamment pour la métropole, qu'il aborde par des récits de fiction.

Projet « Exodus ou les prisonniers volontaires de l’architecture » 1972

  • Exodus est son proget de fin d'étude, qui réunit des collages et un récit fictionne qui pose le contexte. La ville est divisée en deux : une enclave riche entourée d'un mur imposant, où tous les désirs édonistes des habitants sont assouvis, et une partie pauvre dont on entretient l'envie d'entrer dans l'enclave par des dispositifs urbains (comme des miradors). Dans cette ville, la seule condition de l'accession à la partie centrale est de dédier sa vie à l'extension du mur. Il s'agit là d'un récit qui reprend la forme classique de l'utopie (point de vue extérieur neutre, desciption), mais il s'agit ici d'une fiction négative, par laquelle Koolhaas vient questionner la volonté de l'architecture de soumettre l'homme. Il critique par là ses contemporains et la pratique des agences en soutenant qu'il faut arrêter de prétendre qu'on va maîtriser les suites sociales des constructions.

  • Delirious New York, sa deuxième oeuvre majeure, réunit des images et des récits de fiction, notamment sur Manhattan, à qui il prête une volonté propre, comme si elle avait eu des intentions dans les différentes étapes de son développement. Il s'agit d'un récit où le vrai et le faux sont difficiles à distinguer mais qui reprend les grandes étapes de l'histoire de la ville. En 1911, seule la pointe sud est construite et on décide de diviser la ville en 2658 parcelles identiques, générant ainsi une abstraction complète du terrain et kançant une course spéculative autour de Manhattan. Une autre étape importante est celle de la rcéation de l'ascenceur, en 1954 par Otis, qui permet une multiplication de la parcelle existante au sol : virtuellement, les parcelles acquièrent une valeur infinie. On voit là une inversion entre la ville européenne fondée sur une conception marquée par l'escalier et la ville américaine fondée sur une conception marquée par l'ascenceur.
Caricature du Gratte-ciel
Life Magazine, 1909 :
déconnection des étages, course individualiste
Cosmopolis du Futur,
Harry Petit & Moses King, 1908 :
ville de gratte-ciel hypermobile qui mobilise différents modes
de transport, qui rejette complètement la nature.
La ville devient un bâtiment gigantesque.

Plus l'architecture devient grande, plus on va vers des bâtiments extra-larges, plus l'architecture devient son propre contexte et on peut alors se passer du contexte environnant. C'est de cette idée que vient la revendication de Koolhaas, "Fuck the context". Avec l'exemple de New York, on a une architecture qui devient une entité, une masse, appuyée sur une culture de l'hyperdensité et de la congestion. Les différents travaux de Oma visent à souligner qu'il faut accepeter le fait que la société bouge plus vite que l'architecture, que l'architecture ne peut plus suivre la société : aussi faut-il multiplier les fonctions au sein d'un même bâtiments, installer milles programmes en un seul lieu.
  • Concours de restructuration des Halles : Koolhaas a proposé un projet dans lequel les interactions entre les programmes étaient centrales. Il s'agissait en effet, par une hypersensification, de créer des occasions de surprises, d'accidents et d'inmprévus, faisant que c'est ce que l'architecte ne maîtrise pas qui devient architecture.
Proposition pour la compétition de restructuration des Halles de Paris
Agence OMA, 2003

Dans la partie basse du logigramme apparaît la vision de Koolhaas sur les
Halles de l'époque : des strates où les fonctions se superposent. Il pensait
au contraire qu'il fallait partir du bas des halles, attribuer à chaque tour une
fonction et ainsi générer des interactions entre les fonctions, comme dans
la partie haute du logigramme.
  •  La boutique de luxe Repossi : à plus petite échelle dans cette boutique place Vendôme, a plus petite échelle, il a s'agit pour Koolhaas de créer des espace dans l'espace. Il compose en effet ses murs comme autant de miroir, afin de créer des jeux de regards. De la sorte, la multiplicaton de vues d'un espace fait plus que la composition de l'espace.
Réalisation de la boutique Repossi, Place Vendôme, Paris
Agence OMA, 2016



C'est à partir de toutes ces références et inspirations qu'a pu être proposé le collage de Best Before Yesterday. Ce projet questionne ainsi la mobilité comme élément structurant du fait urbain, au moment où le débat pose sur le renversement du paradigme au sens où apparaît l'arrêt de la mobilité comme enjeu fondamental et facteur de progrès. C'est au sein de ses différents noeuds de problématiques que s'inscrit cette démarche.

Merci infiniment à Pauline Datevernier, Aurélie Poix et Ronan Legall pour leur intervention !

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