projection - [Laurent Coudroy de Lille] Le Roi et l'Oiseau : urbanisme et politique (23.10.18)

  

Le Roi et l’Oiseau, réalisé par Paul Grimault à partir de textes de Jacques Prévert, est un film aussi poétique que célèbre, qui a marqué plusieurs générations. Mais peut-on en dire quelque chose ? Peut-on, après avoir (re)visionné cette œuvre, décoller des impressions doucereuses qu’elle nous a laissées, pour y déceler un message ou un propos d’ordre politique ou urbanistique ? C’est à cette difficulté que Laurent Coudroy de Lille, urbaniste et professeur à l’Ecole d’urbanisme de Paris, nous a fait l’amitié de se confronter. 

Cette difficulté, celle du choix des mots à poser sur ces images qui nous enchantent, est l’une des principales lignes de force de la discussion qui a suivi la projection du 23 octobre au cinéma Le Luminor Hôtel de Ville. Voici quelques unes des tentatives esquissées ce soir-là.




Le palais de Takikardie : une dystopie architecturale ?


La dystopie apparaî comme une utopie qui, dans sa réalisation, produit des effets négatifs, voire cauchemardesques. Le palais du film, tout en hauteur, agrémenté, si l’on peut dire, de sa ville basse, peut-il être considéré comme une dystopie ? 
 
Il est vrai que, par les références architecturales et culturelles qui peuplent le film, on a devant les yeux quelque chose comme un agglomérat de lieux : isolément, ils sont tout à fait charmants – comme cette imagé vénitienne du gondolier sur le canal, ou ces évocations de la Torre del Mangia de Sienne, de palais orientaux et bulbes orthodoxes, Mont-Saint-Michel ou encore Versailles , à une esthétique vaine, prétentieuse et cumulative jusqu’à l’absurde. Mais si on les prend ensemble, on aboutit à une sorte d’indigestion d’objets esthétiques, à une esthétique trop parfaite. Peut-être alors que cette accumulation rend patentes l’impasse du « toujours plus esthétique ». 

D'abord, cette impasse est à comprendre dans le contexte général de l'innovation technique et dans l'urbanisation des Trente Glorieuses : on croit pouvoir tout faire, tout empiler, tout fonctionnaliser, et cela peut finir par produire un trop plein de rationalité à même l’espace, notamment dans la verticalité des grands ensembles. Cette rationalité peut-être exorbitante, Rapporter ce film d’animation à une histoire de l’urbanisme n’est pas simple. On peut remarquer que sa période de réalisation couvre à peu près les (mal nommées) Trente glorieuses, de 1950 (La bergère et le ramoneur, sorti en 1953) à 1980 (sortie du Roi et l’Oiseau). L’espace est cloisonné, hiérarchisé, en quelques sortes fonctionnalisé à outrance… alors que l’image traditionnelle de ville médiévale, elle aussi poussée à sa caricature (murailles et château fort, tours et échauguettes télescopiques, ruelles sombres labyrinthiques…) lui offre un envers caricatural. En ce sens, cet amas de bâtiments pourrait être un prolongement dystopique de la rationalité urbanistique abusive de cette époque. On peut aussi la voir dans l’entière domestication du végétal dans le film qui n’apparaît que sous la triple forme de paille séchée, de massifs taillés à l’effigie du roi, et d’arbres épars près de la cascade dévalée par les policiers.

Ensuite, les images spatiales et architecturales du film évoquent des lieux imaginaires, et notamment les « prisons imaginaires » de Piranèse, série d’estampes du 18ème siècle, où d’ailleurs Marguerite Yourcenar, dans Le cerveau noir de Piranèse, voyait un écho du devenir du monde au XXème siècle. Ces lieux imaginaires sont empreints d’une beauté froide et stérilisante, que l’on retrouve dans les espaces du Roi et l’Oiseau, notamment dans les nombreuses pièces vides, vastes et froides du haut palais

Enfin, les références historiques architecturales et urbanistiques sont à chercher tout autant du côté de l’absolutisme de l’Ancien Régime français que de celui des totalitarismes du XXème siècle, et notamment dans une évocation lancinante du fascisme italien ou des totalitarismes, historiquement et philosophiquement dévoilés lorsuqe le film était mis en chantier en 1946. On peut en effet penser, devant ce grand palais et ces références dont beaucoup sont italiennes, au modernisme architectural italien des années 1920 et 1930, ainsi qu’aux villes nouvelles voulues par Mussolini.

Autant de pistes qui, si l’on veut, peuvent permettre de parler de dystopie au sujet de l’espace du Roi et l’oiseau, dans la mesure où cet espace donne une vision fort ambiguë de ces imaginaires divers dans leur réalisation. 




Le palais de Takikardie : une ville ?


Si ce film évoque incontestablement des espaces et des imaginaires urbains, quel est le statut de la ville qu’on peut y déceler ? S’agit-il d’un film développant un message anti-urbain ? Quelle importance doit-on accorder au fait que cette histoire, incontestablement marquée par les symboles politiques, se déroule dans un cadre urbain ? 

La réflexion doit s’attarder sur la notion de ville : a-t-on ici vraiment affaire à une ville ? D’une part, nous avons un palais, qui est certes un système d’habitation fermé sur lui-même, mais qui est ostensiblement vide? Si on considère que la bergère et le ramoneur restent des chromos issus des collections de peintures du Roi, la seule femme du film est celle de la vulle basse, figure triste à sa fenêtre, qui est aussi la seul à avoir gardé une mémoire des oiseaux (les lions ne ressemblent pas aux oiseaux). Ce royaume sans femme peut-il être une ville ?

Son inhabitabilité patente doit nous inciter à penser que ce n’est pas là une ville. D’autre part, il y a bien un espace d’habitation plus proche de la ville, en contrebas. Mais là encore, bien que la représentation visuelle de cet espace ne puisse manquer d’évoquer les faubourgs des villes d’industrie du XIXème siècle, cette « ville d’en bas » (ces bas-fonds, au sens littéral du terme) est marquée par sa fragilité et sa quasi-facticité : on découvre bien des espaces les uns après les autres, mais aucun lien ne paraît ordonner cette succession. Autrement dit, il n’y a dans ce film pas vraiment d’ensemble qu’on puisse désigner comme ville, mais bien plutôt un amoncellement de décors singuliers qu’on découvre de manière sérielle et qui aboutissent au désastre urbain, à l'assujettissement et à l'enfermement, comme le dit Thierry Paquot.

Une fois qu’on a dit cela, on peut donc se demander si l’on doit voir dans ce film un propos anti-urbain. Certes, la libération des opprimé-e-s des bas-fonds passe par la destruction de cet ensemble formé par les faubourgs souterrains et le palais, mais encore une fois, celle-ci s’opère si vite et, en un sens, si facilement, qu’on a du mal à ne pas voir dans cet espace autre chose qu’un simulacre urbain, un échafaudage, une vision. Dans ce labyrinthe vertical et presque fractal, tant les espaces paraissent s’y emboiter à l’infini, on devrait alors peut-être voir plutôt l’incarnation de l’absurdité de cette grande machine qu’est le pouvoir absolu, que l’allégorie d’un désastre urbain. 



Le palais de Takikardie : une mise en scène du pouvoir ?


La dimension politique du film est tout à fait manifeste, et ce dès le choix de son titre : initialement nommé « La Bergère et le Ramoneur », d’après le conte d’Andersen, le film délaisse son pur aspect d’historiette amoureuse pour accentuer son propos idéologique, en s’appelant « Le Roi et l’Oiseau ». Ce sera l’histoire d’un roi, caricaturalement seul et méchant, tourné en ridicule par cet oiseau qui en est la figure inverse. 

Alors bien sûr, on pourra voir dans ce roi l’image d’un Louis ou d’un Guide quelconque. On pourra également penser à cette surveillance dont Michel Foucault, dès les années 1960, avait fait la pierre angulaire de son appréhension conjointe du pouvoir et de la ville : cette surveillance s’exerce dans le moindre recoin de l’espace infini que nous donne à voir le film. On pourra noter que l’aspect pyramidal de l’espace se double d’une contre-pyramide : plus on monte, plus le bâti semble étroit, mais plus il est vide et apparaît donc comme vaste. On pensera enfin à ce travail à la chaîne des faubourgs souterrains, dont s’extirpent bien vite l’oiseau et le ramoneur pour entreprendre la révolte. 

Mais peut-être, de manière plus fidèle à notre expérience première du film, faut-il mettre l’accent non sur ses référents historiques, mais précisément sur l’impression même qu’il nous laisse, et qui apparaît elle-même comme politique : cette impression, c’est la perplexité. Perplexité devant cet échafaudage spatial hétéroclite dont on ne comprend pas les logiques de conception et de fonctionnement ; perplexité devant ce personnage du roi, presque mutique pendant une partie du film, et si isolé ; perplexité devant ce vide humain du palais, et cette oppression exacerbée des habitants d’en bas ; perplexité devant ces lieux, ces décors, qui apparaissent aussi inopinément qu’ils disparaissent furtivement. Cette perplexité ressentie paraît nous mener à un sentiment d’absurdité, que la révolte et la destruction finales ont pour objet de réprimer, de surmonter. Le petit oiseau sort de sa cage et retrouve la liberté : la survivance de cet être précaire, et lui-même plongé dans l’incompréhension des pièges qui lui sont tendus, est peut-être, finalement, l’image de la simplicité triomphante face à la complexité absurde de l’espace détruit. 




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